Bienvenue sur mon blog

Stanislas Engrand

Derniers articles publiés

page 30
12 Jan 2020

Ithyphallique

J'ai employé l'adjectif ithyphallique dans Sauvé par les livres I. Il signifie "qui a la caractéristique d'un ityphalle", ie : pénis en érection. Peu courant, je l'ai rencontré pour la première fois en classe de Français, je crois en classe de première, dans le poème de Rimbaud, Le cœur supplicié, poème étrange et hermétique à toute interprétation certaine, qui a fait et continue à faire, couler de l'encre dans la science rimbaldienne. J'ai néanmoins trouvé un site intéressant à son sujet : http://abardel.free.fr/petite_anthologie/le_coeur_panorama.htm

Voici le poème dans lequel on trouve par ailleurs des inventions du génial Arthur, le fameux abracadabrantesque, pioupiesque de pioupiou (soldat), stomachique (d’estomac) et bachique de Bacchus.

Le Cœur supplicié.

Mon triste cœur bave à la poupe ...
Mon cœur est plein de caporal!
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe...
Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal!

Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé;
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont dépravé.

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques!
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé!
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?

En cherchant d'autres citations avec ithyphallique, j'ai trouvé celle-ci, que je trouve assez savoureuse :

"Satan poussait dans les feux de la lubricité cavalcadante et dévorante ses troupeaux de nonnes charnues et de moines ithyphalliques, gymnasiarques de l’amour et virtuoses des accouplements monstrueux". — (Victor Méric, Les Compagnons de l’Escopette, Éditions de l’Épi, Paris, 1930, page 84). Cité dans https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition-gymnasiarque/

 

delimiter
12 Jan 2020

Sauvé Par Les Livres VI

Sauvé Par Les Livres

VI

« Ma découverte me rendait perplexe. Qui était vraiment le majordome et quelles complicités pouvait-il avoir pour être en possession de cet ouvrage d’une valeur inestimable ? Il ne pouvait intéresser que des musées ou un collectionneur délirant qui cache ses collections à son profit seul. Mais dans ce cas, le collectionneur serait le majordome. Il était peu plausible qu’il eût l’érudition nécessaire pour goûter l’intérêt de ce trésor culturel. Il y avait donc un commanditaire et lui n’était qu’un des maillons dans une chaîne de malfaiteurs. La cache était dans ce cas provisoire et l’ouvrage attendait sagement que les malfrats aient trouvé le collectionneur qui pourrait payer l’ouvrage à un prix astronomique. Que devais-je faire ? Le dénoncer sans preuve à la police ? Tout simplement restituer l’ouvrage ? J’encourrais la foudre du majordome et de son commanditaire. C’était risquer ma vie. En parler à Aristote, c’était risquer la sienne.

Je me résolus à m’enfuir avec le livre. Il fallait donc que je le dérobe à mon tour et que je disparaisse immédiatement. Mais où aller ? Une évidence surgit à ma pensée : j’irai à Rhodes. Xénophon contrairement à Aristote ne risquait pas de représailles, c’est du moins ce que je pensais. Quant à moi, quitte à encourir des représailles, autant disposer d’une monnaie d’échange. Le lendemain, quand j’eus terminé ma mission, j’allai saluer le Comte. Mon bateau partait de Trieste dans la nuit et j’emmenai avec moi l’ouvrage, étonné de pouvoir m’installer sans encombre dans le bateau. J’allais rejoindre Xénophon et lui demander conseil. La traversée jusqu’à Rhodes en passant par Corfou et la Crète fut merveilleuse. Il faisait beau et j’avais l’impression de vivre une aventure extraordinaire. J’imaginai la fureur du majordome quand il aurait constaté la disparition de l’ouvrage.

Lorsque j’arrivai à Rhodes, 2 jours plus tard, il était cinq heures de l’après-midi. Je me rendis directement chez Xénophon qui m’accueillit les bras ouverts. Très vite je lui fis part de la situation. « C’est très dangereux ce que tu as fait mon garçon. Mais que ne ferait-on pour un tel livre, tu as fait le mieux du monde, d’autant que nous allons pouvoir le lire ensemble et nous aviserons ».

A suivre…

delimiter
09 Jan 2020

Sauvé Par Les Livres V

Sauvé Par Les Livres

V

Comme je terminais l’emballage des livres, je perdis l’équilibre et heurtai un montant de la bibliothèque. Le choc fit légèrement bouger un panneau de bois. En essayant de le repositionner, je m’aperçus qu’il pouvait glisser sous celui d’à côté et découvris une serrure en bois qui ressemblait à un modèle que j’avais vu dans l’atelier de mon père. Sans clef je ne pus rien faire mais échafaudai un plan. Il me fallait d’abord savoir si le vieux Comte savait que la bibliothèque dissimulait une cache. Je remis le panneau en place en prenant soin de disposer un peu de poussière dans une rainure du mécanisme. Lorsque j’eus terminé le travail de la journée, je fermai la bibliothèque et allai saluer Balestrazzi. Je glissai en riant, dans la conversation, que je n’avais pas trouvé de passage secret dans la bibliothèque. Le Comte s’en amusa et me répondit que s’il y en avait eu, il serait au courant. J’en déduisis qu’il ne connaissait pas la cache. Son majordome qui avait assisté à notre échange, avait ri à son tour et ce n’est qu’en repensant le soir à cet échange que me revint à la conscience son très léger mouvement oculaire quand j’avais parlé de passage secret. Il était certainement au courant de quelque chose. Je revins le lendemain avec un outil spécial. Mon père m’avait appris à ouvrir des serrures avec cet outil. C’était un système de tiges fines coulissant les unes par rapport aux autres et réglables en longueur, qui permettait de s’adapter à la forme de toute serrure. Le lendemain, je pus faire glisser le panneau. La poussière avait été dispersée dans la rainure. Le majordome connaissait donc la cache.

L’ouverture ne prit pas plus d’une minute et me permit de faire coulisser un deuxième panneau sur le fond épais de la bibliothèque en chêne. Une cavité était dissimulée derrière. Là, était stocké un unique épais volume. Je le sortis. Le butin était exceptionnel. C’était une édition princeps en Grec de L’œuvre d’Homère, probablement celle qui avait été dérobée deux ans auparavant à la bibliothèque nationale de Rome. Je remis le livre en place, troublé et excité par la découverte. Je fis glisser les panneaux et m’assis sur une banquette. Il me fut difficile de réfléchir, mon cœur battait trop vite. Je dus respirer lentement pendant plusieurs minutes pour me remettre de cette émotion. Quand j’eus retrouvé mon calme, je rouvris la cache, pris le livre, refermai le mécanisme puis déposai délicatement l'ouvrage dans une caisse afin qu’on ne puisse le voir si d’aventure quelqu’un entrait.

Évidemment on entra, évidemment ce fut le majordome. Le prétexte était parfaitement justifié puisque l’homme m’apportait, comme chaque matin un café et des biscoti aux amandes. Mais c’était plus tard qu’il venait d’habitude. Il trahissait de fait sa nervosité et son impatience de venir me surveiller et vérifier que la cache n’avait pas été ouverte. Il s’en approcha tout en me parlant et déposa le plateau sur le rayonnage en dessous du panneau. De sa main, il caressa le bois en me disant combien il trouvait belle cette bibliothèque réalisée sur mesure par un ébéniste qu’il me cita et dont il me montra la signature gravée dans le bois d’un montant. Nouvel indice que cet homme en savait long. Il était à l’évidence mouillé dans un trafic de livres anciens. Il sembla satisfait de son inspection et me laissa en faisant sourires et courbettes et sortit de la pièce. Si j’avais été adepte de la fameuse « loi » de Murphy  « Tout ce qui est susceptible d'aller mal, ira mal », j’aurais pu imaginer des tas de scénarios catastrophes et pour être franc celui qui se réalisa, ne fut pas celui que j’avais imaginé.

A suivre…

delimiter
06 Jan 2020

Sauvé Par Les Livres IV

Sauvé Par Les Livres

IV

Xénophon ne se remit jamais de la mort atroce de sa femme Il ne dormait pratiquement plus mais sa passion des livres le maintint en vie. Il considérait les livres comme des amis toujours présents pour l’aider à supporter les fantômes qui hantaient ses insomnies. Il s’installa de nouveau comme libraire et reconquit en quelques années une clientèle. Sa force résidait dans le réseau de relations qu’il avait su constituer en voyageant et notamment à Venise où il avait aidé Aristote, un ami de Smyrne à s’établir comme libraire avant la grande catastrophe. Le métier à cette époque, ne consistait pas seulement comme aujourd’hui à vendre des livres. Il fallait évaluer et acheter des bibliothèques entières détenues par des familles généralement aristocratiques à l’occasion de successions inextricables ou sans héritiers. L’érudition était indispensable mais pas suffisante. Xénophon était un redoutable commerçant. Il savait vendre mais surtout acheter. Principe simple et de tout temps : acheter le moins cher possible ; revendre le plus cher possible. Ses affaires marchant bien, il voyagea souvent. Aristote et lui se voyaient une fois par an soit à Rhodes soit à Venise. La deuxième guerre mondiale ralentit ses activités qui déclinèrent progressivement. La lecture occupa dès lors tout son temps et l'homme bénissait le ciel de lui conserver une bonne vue. La guerre finie, il ne voyagea plus et n'eut plus que des échanges épistolaires avec son ami de Venise. Mais en 1952, alors qu'il venait de fêter ses 82 ans, Xénophon reçut d’Aristote une courte lettre :

"Mon cher et grand ami Xénophon, prince des libraires, je te salue de toutes mon amitié et viens te faire part d'un problème dont la résolution impliquerait ta présence. Je dois faire une offre d'achat pour un collection inestimable, celle du Comte Balestrazzi, propriétaire du célèbre palais La Ca Meravigliosa sur le Grand Canal. Je ne suis pas en mesure de réaliser à moi seul, l'expertise de cette bibliothèque mythique et connue de tout ce que la Sérénissime compte de bibliophiles. Ton aide, ami si cher à mon cœur, malgré le temps et l'espace qui nous séparent, me serait au plus haut point profitable. Il va sans dire que nous partagerons le bénéfice de cette opération, si tu es d'accord pour te joindre à moi et si ton état de santé le permet. A cette fin, je t'envoie des billets de bateau aller-retour pour Venise. Je t'embrasse, mon très cher Xénophon, et t'attend avec grande impatience en notre belle cité. Ton vieil ami qui t'est si redevable, Aristote.

Xénophon relut la lettre et se mit à son écritoire :

"Aristote, ami si cher à mon cœur, il est inutile que je te réponde longuement pour te dire que bien évidemment je me mets en route. Ma santé n'est pas brillante mais c'est de notre âge. Quand tu recevras cette lettre, je la suivrai de peu et viendrai te serrer dans me bras. Ton fidèle Xénophon".

Les retrouvailles furent magnifiques. "Les deux octogénaires, me dit Mattéo qui était alors depuis peu stagiaire chez le vieux vénitien, étaient comme des frères. Je n’avais jamais vu de vieillards aussi truculents (sic) ».

Les trois hommes se rendirent chez le Comte pour l’évaluation. Mattéo poursuivit  : « Balestrazzi n’avait plus les moyens d’entretenir son palais au bord du grand canal. Il lui fallait céder sa collection de livres anciens. Les deux experts furent éblouis par la richesse exceptionnelle de la bibliothèque en nombre et en qualité. Il y avait des ouvrages rares dont des bibles enluminées du moyen âge, des manuscrits calligraphiés avec des fermoirs en or et, certains, incrustés de pierres précieuses. Pour moi qui venais, à 22 ans, de terminer mes études en histoire de l’art et qui voulais me spécialiser dans les livres anciens, c’était une féerie. Jamais je n’aurais pu imaginer une telle beauté. Les libraires prenaient chaque livre avec un soin infini. Ils m’avaient appris à le faire, me montrant comment me laver les mains soigneusement et comment enfiler des gants de coton blanc désinfectés dans une solution appropriée puis séchés. Mais on ne peut jamais prendre toutes les précautions. Les vieux papiers sont sensibles à l'humidité, aux moisissures et à la sudation des doigts, en fonction de leur ancienneté et de leur composition chimique. Je fus autorisé à manipuler quelques ouvrages sous les yeux attentifs de mes maîtres. L’expertise dura plus d’un mois. Nous nous enfermions dans la bibliothèque. Notre travail commençait dès 7 heures du matin et se terminait tard dans la nuit mais jamais je ne m’ennuyai. Mon travail consistait à photographier chaque ouvrage, les répertorier et noter les premières estimations des experts. Les deux hommes étaient parfois en désaccord et se chamaillaient alors comme des enfants. J’avais l’impression d’assister à une controverse théologique tant les arguments étaient savants, parfois  de mauvaise foi et purement polémiques, destinées à ne pas perdre la face. C’était drôle ces deux octogénaires qui se disputaient et finissaient par en rire. C’était très émouvant. Ils rendirent leur rapport d’expertise au Comte un mois et demi après le début de nos travaux. Il était accompagné d’une offre d’achat. J’avais appris durant ce temps les rudiments du métier. Je revis, aujourd’hui encore des moments entiers de ces jours extraordinaires, quand je réalise une expertise ; ce qui est de plus en plus rare et ne porte plus sur des bibliothèques d’une telle richesse historique et bibliographique ».

Balestrazzi accepta l’offre sans discuter. Dès lors il fallut mettre en caisse et déménager les ouvrages. C’est à Mattéo qu’échut ce travail de manutention. Xénophon resta encore quelques jours. Les deux libraires supervisèrent son travail le premier jour, puis le laissèrent continuer seul après lui avoir fait d’ultimes recommandations. Aristote avait loué un entrepôt sécurisé pour recueillir les précieuses caisses. Les deux hommes envoyèrent des lettres à leurs clients, dont des musées internationaux, avec le catalogue qu'avait fait imprimer Aristote. Quand Xénophon les quitta, les deux hommes s’étreignirent. Xénophon remercia Aristote de lui avoir fait faire ce voyage qui lui avait redonné de l'énergie et du plaisir. Ils  plaisantèrent sur leur peu de chance de se revoir étant donné leur âge. Derrière l’humour, Mattéo perçut la tristesse de Xénophon et promit de lui rendre visite.

Mattéo poursuivit : "je fis appel à un déménageur et à son "bateau camion" d'un rouge magnifique, un Bragozzi, initialement bateau de pêche fabriqué de père en fils à Chioggia, ville et port du sud de la lagune. 14m de long pour une largeur de 4 mètres et un faible tirant d’eau pour pouvoir naviguer dans les canaux ; il avait une énorme barre franche, qui lui donnait un air indestructible. Il était magnifique. Tu vois, Venise c'est ça aussi, une sorte d'atmosphère de beauté immuable, y compris celle des camions. Le travail fut long et fastidieux mais me réserva une surprise incroyable"

A suivre...

 

delimiter
04 Jan 2020

Sauvé Par Les Livres III

Sauvé Par Les Livres

III

C’était le plus souvent au Pavli, variante du Backgammon, que je voyais jouer des Grecs dans les cafénions mais les échecs sont populaires aussi.  Il se trouve que je les ai beaucoup pratiqué et que j’avais atteint dans le passé un bon niveau. Je l’ai perdu mais il suffit d’une partie pour vous remettre dans le bain. Le joueur d’échec me demanda dans un Français presque sans accent si je savais jouer. Je répondis que oui et lui demandai comment il me savait Français. Ça le fit rire. Il me répondit que l’accent français est repérable entre mille même en Anglais. Je ris à mon tour et changeant de sujet, l’informai qu’il allait droit à l’échec. Profitant de ce que son partenaire ne comprenait pas le Français, il me demanda des tuyaux et j’échafaudai un mat en quatre coups. L’autre nous quitta écœuré et le gagnant se mit à rire à gorge déployée. « Ne t’inquiète pas pour lui, me dit-il, en général c’est lui qui gagne et demain, il gagnera de nouveau. L’honneur sera sauf. Chez nous, on n’aime pas perdre ».

Nous échangeâmes nos prénoms. Il s’appelait Mattéo. Je lui demandai pourquoi ce prénom italien. Il me répondit que la bonne question était plutôt : qu'est-ce qui l'avait conduit à Rhodes et que c’était une longue histoire et que, si je voulais bien, il aurait plaisir à me la raconter. Je répondis évidemment ''oui''. « Mais dit-il, d’abord l’apéritif ». Il me fit choisir : Ouzo ou Raki ? Je n’aime ni l’un ni l’autre mais optai pour l’Ouzo, sorte de Pastis, moins fort quand on le noie avec de l’eau. L’eau de vie du Raki est trop forte à mon goût et parfois proche de l’alcool à brûler.

C’est avec un grand plateau qu’il revint. Outre les verres et les boissons, il y avait six coupelles garnies. Un mezzé : des tomates, des olives, de la fêta, du houmous à base de fèves, du tzatziki, des kritsinia (cousins des gressini italiens) aux graines et du tarama fait par lui, souligna-t-il. Les Grecs, très hospitaliers, apprécient de prendre le temps de savourer le mezzé en discutant. C’est un art de vivre simple et raffiné tout à la fois.

Mattéo reprit sa narration. Bien qu’il eût la nationalité grecque depuis longtemps, il était natif de Venise. Son père était serrurier, spécialiste des systèmes anciens de fermeture. Il réalisait des pièces uniques dans différents métaux et même en bois. Sa mère était d'origine Grecque et travaillait comme comptable de son père. Elle avait appris sa langue à Mattéo. Au collège, il avait fait du Français mais surtout lisait beaucoup de romans. Il me cita en vrac Les Misérables, La Chartreuse de Parme, Le Père Goriot et Madame Bovary et me récita deux fables de La Fontaine. D’abord l’incontournable Cigale et la Fourmi, et plus inattendu, Le Philosophe Scythe, plus compliquée, qui lui avait donné du fil à retordre mais qu’il s’était imposé de réciter par cœur en écoutant un enregistrement par un comédien français. Adolescent, il était un fervent admirateur de Moustaki. Puis et surtout, il avait obtenu une bourse d’études à l’École du Louvre, d’où son aisance en Français.

Le temps se rafraîchissant et la nuit tombant, nous rentrâmes dans sa librairie. A 89 ans, vieillard actif, il était encore libraire. Son magasin contenait des ouvrages dans la plupart des langues européennes et beaucoup de belles reliures. Nous nous installâmes au fond, dans le coin-salon aménagé à l’orientale : tapis persan, plateau de cuivre ouvragé sur un trépied en table basse, banquettes et coussins le long de deux murs à angle droit.

"Avant de reprendre mon récit, dit-il, il me faut te demander si tu sais ce que fut « la grande catastrophe ». Je lui répondis par la négative. La grande catastrophe m'expliqua-t-il, désigne la perte de territoires grecs durant la guerre entre Turcs et Grecs en 1922, au profit de l’actuelle Turquie, particulièrement Smyrne. Les batailles contre l’armée de Mustapha Kémal furent sanglantes. Des réfugiés grecs affluèrent par centaines de milliers. Voilà dit-il pour la grande catastrophe" et il poursuivit : "un libraire grec de 50 ans, érudit au beau prénom de Xénophon, natif de Smyrne, reconnu comme expert bibliophile de Venise à Alexandrie, avait autant d’amis grecs que turcs. Il tenait une très réputée librairie spécialisée dans les ouvrages anciens et possédait des ouvrages antiques d’une valeur inestimable. Il avait fait fortune en procurant à des lettrés grecs, turcs, égyptiens ou italiens des ouvrages rares. Mais dans la guerre il n’y a plus que deux camps et le sien était grec. Sa librairie fut incendiée, sa femme violée et tuée sous ses yeux. Il réussit à sauver quelques ouvrages et s’enfuit à Rhodes sur le bateau d’un ami pêcheur.

 A suivre...

delimiter