
APESANTEURS
Le tableau en photo de titre est de Sandra Fourny (https://www.sandrafourny.com)
Apesanteurs (20 textes, 6€ + frais d'envoi) est sorti le mardi 23 septembre dernier. Pour toute commande, me contacter par courriel : stan.engrand@gmail.com
En voici des extraits :
GUENON À Cholé Moglia, Lagrasse août 2025
Elle monte le long de la corde,
aspirée vers le haut de la potence courbée,
s'installe, écoute, s'équilibre,
regarde la foule
retenue par le silence.
Comme un singe,
Elle se suspend d'une main, d'une jambe,
pivote avec lenteur,
s'allonge sur le ventre.
Elle nous déséquilibre, on a peur.
Du silence bruisse une pensée :
si elle tombait ?
Ça n'arrivera pas,
elle seule le sait.
Elle se rêve guenon,
un singe ne tombe pas.
Chloé, silence, écho des étoiles,
dans la nuit qui tombe à Lagrasse
je rêve avec toi d'apesanteur.
CE SONT DES COULEURS À Sandra Fourny
Ce sont des couleurs que tu me donnes,
bleus turquoise, bleus ultramarins,
bleus d'apesanteurs, de glace, de lagons,
de soleils radieux, de noirs orages
de chutes d'eau en fils argentés,
ce sont les bleus de mes îles.
Bleus d'Islande, bleus arctiques
bleus de Crète et de mer Égée
sur le mur blanc du salon.
LE JAPON ME PARLE TOUT BAS
Le Japon me parle tout bas.⁹
Dans le silence de Teshima se taire est la règle.
Je me recueille dans le temple blanc,
légère bulle géante lovée dans le vallon.
Des gouttes perlent du sol,
ruissellent sur une infime pente,
se réunissent en lacs minuscules.
Sakurajima fume à bas bruit.
Musique des eaux brûlantes.
Face au volcan les corps nus se délassent
silencieux dans les bains chauds.
On ne parle pas dans les onsen.
Tokyo Fukuoka, Kyoto,
dans les villes, le soir, déambulent
les foules libérées du travail.
Dans les rues, les métros le bruit se défoule.
Le Japon me parle tout bas.
COMME LE BRUIT DE LA MER
Comme le bruit de la mer et comme le feu,
comme les vagues,
comme la musique et comme la lumière,
comme l'océan délivré de la pesanteur,
j'aime la légèreté des vibrations,
des résonances entre éveil et sommeil
quand tout se fait correspondance.
Et quand la nuit ajoute ses phares au bruit de la mer,
je sens sur moi le souffle de l'univers.
ETRE UNE PIERRE
J'étais installée là sans l'avoir choisi.
Un jour, fragmentée par un bulldozer j'ai été déplacée.
Je me souviens de chaque fragment de moi, minéral amputé.
Mon aventure a commencé au centre de la terre.
Douleurs insupportables, compressions, mouvements telluriques,
des millions d'années durant.
Être pierre n'a rien de facile, se trouver là ou ailleurs, est-ce le hasard ?
On passait sur moi sans prendre en compte ma présence ancestrale.
Durée incommensurable pour toi.
Toi qui m'a recueillie, n'oublie pas d’où je viens.
TELESCOPE
Au tempo du télescope,
traquer les lumières fossiles
et parcourir l'univers
où le nord n'existe pas.
Regarder sur la voûte céleste,
comme une paroi de caverne,
images et symboles projetés.
Inventer une boussole
pour comprendre les signaux
qu'envoie l'univers.
MARAIS SALANTS
C'est marée basse, le traict du Croisic s'est vidé,
spatules, aigrettes, fouillent la vase,
pêcheurs à pied ramassent coques et palourdes.
Dans le silence étendu du marais
les paludiers cueillent le sel.
Gestes sûrs d'un ballet réglé, effluves iodés.
Un héron marche lentement dans les couleurs irisées d'un œillet,
des mouettes piaillent dans une vasière rouge de salicornes,
une colonie de sternes criaille d'amours et de bagarres.
Quand vient le soir, les couleurs rougissent
et les ombres agrandies par les rayons déclinant
se faufilent entre les taches de lumière.