Nouveau et dernier chapitre de Sauvé par les livres
La fin de ma nouvelle Sauvé par les livres était un peu frustrante alors je me suis décidé à lui ajouter un dernier chapitre, qui lui donne une fin.
Pour ceux qui le souhaitent, je joins en PDF téléchargeable (l'ouvrir d'abord), l'ensemble de la nouvelle que j'ai légèrement remaniée à cette occasion et dont j'ai corrigé quelques fautes de frappe. Ne doutant pas qu'il en subsistera, je remercie ceux qui le voudraient bien de m'indiquer ces dernières.
IX
Un moment de silence s’installa et nous sirotâmes notre café refroidi. Je rendis sa lettre à Matteo qui la rangea presque religieusement dans une boîte en bois d’olivier qu’il plaça sur un rayonnage de sa bibliothèque. Je dois dire que cette histoire me laissait perplexe. La disparition de Xénophon telle que me la présenta Matteo était invraisemblable. Je me gardai de rien dire. Xénophon était pour lui plus qu’un père spirituel et mon doute n’eût pu que le heurter. C’est lui qui reprit la parole en premier pour me demander ce que je pensais de son récit. J’improvisai une réponse sur le thème de l’incroyable pour ajouter que l’esprit peut avoir tant de pouvoir sur la matière qu’on pouvait tout imaginer… que j’aurais aimé connaître un type aussi exceptionnel… Matteo reprit : exceptionnel est le mot qui convient. Un être d’exception, d’une érudition hors du commun. Une bibliothèque a lui tout seul. Et, ajouta-t-il, le proverbe africain selon lequel « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » est démenti par la disparition de Xénophon. Il est là parmi les livres. Matteo sembla soudain fatigué. Son regard se fixa ailleurs.
Quel crédit porter à cette histoire ? Matteo avait un talent de conteur et dans ce pays qui avait créé les merveilleux mythes toujours présents dans notre imaginaire, il pouvait avoir tout inventé. J’avais besoin de prendre mes distances et de réfléchir. Je lui proposai de nous revoir le lendemain. Ca lui convint. J’avais envie de profiter de la journée pour visiter l‘île. Nous convînmes de nous retrouver le jour suivant pour le déjeuner. Mon séjour touchant à sa fin, je partirai le surlendemain pour la Crète où je devais rejoindre des amis dans un lieu enchanteur sans touristes ou presque.
Une voiture de location me permit de rejoindre rapidement le sud, l’île n’est pas grande et ce fut l’occasion de passer par le centre très montagneux, aux forêts de pins et de cyprès, aux effluves délicieux. Le soir au bord d’une plage, je regardai avec envie les « kite-surfers », papillons multicolores sur la mer, qui profitaient des derniers souffles de vent avant la fin de la journée. Puis la plage se vida et les papillons disparurent progressivement tandis que je prenais un verre de vin blanc à la terrasse d’une auberge où je décidai de passer la nuit.
Le lendemain je suis rentré lentement en longeant la côte, prenant le temps de m’arrêter pour nager dans la mer aux bleus changeants et toujours si beaux. J’arrivai à Rhodes en tout début d’après-midi. Je filai directement vers la librairie. Un mezzé était prêt. Matteo semblait impatient de me parler : j’ai une grande surprise pour toi me dit-il. J’attendis en sachant qu’il aimait me faire mijoter mais il ajouta comme il l’avait déjà fait à d’autres occasions, qu’il fallait d’abord manger et boire et qu’il me révélerait seulement après ce dont il s’agissait.
Comme toujours le mezzé fut succulent. Feuilles de courgette farcies, caviar d’aubergine, féta, boulettes de viande à la menthe et en dessert un portokalopita, gâteau grec à l’orange savoureux et irrésistible. Puis vint le moment que j’attendais sans trop le montrer. Il me dit seulement : viens, suis-moi et il m’entraina hors de la librairie.
Je lui demandai où nous allions. Suis-moi, tu vas voir. Non loin des remparts, il sortit une clef qui ouvrait une porte de cave. Il referma derrière nous puis attendit pour que ses yeux s’habituent à l’obscurité, tout en me tendant un foulard à nouer devant mes yeux. Je compris où nous allions et le lui dis mais il me fit signe de me taire et de lui donner la main. Pendant le trajet qui me sembla long bien que j’eus perdu mes repères, j’essayai à plusieurs reprises de le questionner mais il ne répondit pas. Enfin il s’arrêta et me dit sur un ton impératif : enlève ton bandeau à présent.
Nous étions dans la grande bibliothèque dont je découvris la beauté et la richesse inouïes. Il me dit alors : bien que je sois l’actuel grand maître de l’ordre, je ne me suis pas autorisé moi-même à t’initier à notre secret. C’est Xénophon lui-même qui me l’a demandé. Je ne voulais pas mais il m’a finalement convaincu car il avait senti que tu pouvais être de nôtres. Nous avons décidé de te faire confiance et de passer outre à nos règles habituelles d’apprentissage. Mais, mon ami, jamais tu ne devras en parler à d’autres initiés. Ils ne doivent rien savoir de ce que je viens de te révéler. Peux-tu le jurer ? Je lui répondis évidemment oui. Il me serra alors dans ses bras en me disant : mon ami je sais à présent que je pourrai toujours compter sur toi. J’espère que tu reviendras à Rhodes avant que je rejoigne Xénophon.
Je ressentais une atmosphère étrange, hors temps, hors lieu, et j’entendis la voix de Xénophon qui me disait : ne crains rien, tu étais dans le doute mais un fil invisible nous relie. Ce n’est pas par hasard que Matteo est entré en contact avec toi. A présent tu peux constater par toi-même que l’esprit perdure après la mort. Je répondis : je ne suis pas croyant. La voix me répandit : moi non plus, suivie de celle de Matteo qui répéta les mêmes mots. Je le regardai éberlué : il entendait donc aussi la voix de Xénophon. Ainsi dis-je tout haut l’esprit perdure au-delà de la mort ? Oui répondit la voix : celui de ceux qui aiment les livres passionnément.